lundi 9 février 2009

Contre les lettres de cachet.



La Foi éclairée par la Raison.

Dans son ouvrage : la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 - introduction à l’enseignement civique, Alexis Bertrand, professeur à la faculté de lettres de l’université de Lyon, écrivait :

“Platon compare poétiquement les préambules des lois aux préludes du musicien, qui disposent l’oreille à entendre et l’âme à sentir.”

Comme le disait Socrate, il y a des lois non écrites antérieures et supérieures aux lois écrites. C’est le postulat même de la DDHC de le rappeler à tous législateurs comme aux pouvoirs exécutifs. Avant même de commencer à proclamer un condensé de ces lois antérieures, les parlementaires de la Constituante en synthétisent l’esprit dans cet admirable préambule.

Quelle étrange Assemblée que cette Constituante qui comprenait 1.145 députés ; 270 de la noblesse, 291 du clergé, 584 du Tiers état. Par quel miracle dans ce cénacle de passions politiques et humaines, malgré le tumulte des séances agitées, et houleuses, où s‘affrontaient les frénésies contraires, les intérêts contradictoires, où s’entrechoquaient des motions si divergentes, la pure flamme de la raison la plus généreusement inspirée a-t-elle pu émerger de ce maelström émotionnel pour donner un texte aussi précis, cohérent, simple et intellectuellement accessible au plus grand nombre ?... Car, il s’agit bien d’un miracle pour qu’une telle Assemblée, après de longs débats orageux, ait pu voter à la presque unanimité l’ensemble des dix-sept articles de cette Déclaration.

Nul doute qu’il a fallu que ces illustres pères fondateurs de la citoyenneté moderne, fussent profondément inspirés par les lumières de la Divine Providence. C’est aussi cet aspect spirituel qui donne à cette DDHC une mystique si particulière se trouvant résumée dans cet extrait final du préambule :

En conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être Suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen.

Remarquable formulation, que dis-je invocation, qui par sa pureté et sa noblesse n’a pu que recevoir la bénédiction de cette Divine Providence, vers laquelle notre Assemblée s’est volontairement tournée pour s'ouvrir à ses illuminations.

L’Être Suprême n’est pas désigné selon l’appellation d’un dogme religieux particulier, et il fallait une sacrée tonalité universelle à tous les membres de cette Assemblée, pour ne pas tomber dans le piège cultuel qui l’aurait rapidement condamnée à une mort certaine. L’Être Suprême est celui que chaque citoyen a dans son coeur et auquel il est libre de donner et le nom, et l’idée la plus haute qu’il est capable de s’en faire sans qu’il soit besoin d’en rendre compte à qui que ce soit, et surtout pas aux gouvernements. Cette subtile formulation institue le principe d’un gouvernement laïc, celui permettant le libre choix et la libre pratique d’une religion ou croyance, comme le libre choix de pouvoir ne pas s’identifier à aucune. Cette laïcité n’est pas athée, mais au contraire spirituellement très inspirée par cet Être Suprême.

La démonstration éblouissante que nous fait cette Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, est celle de l’alliance de la Foi éclairée par la Raison. Cette Constituante, après avoir longuement raisonné sur chaque phrase, chaque mot de cette Déclaration, en ayant constamment à l’esprit non pas des intérêts catégoriels, comme c’est si souvent le cas lorsqu’un groupe d’individus se réunit pour débattre, mais uniquement de l’intérêt général, passe de la raison intellectuelle à la conscience spirituelle la plus élevée en se plaçant unanimement sous les auspices de l’Être Suprême, dont elle reconnaît la présence en son sein, acte de Foi sublime.

Cette Assemblée nationale, après avoir donné dans le préambule et la tonalité, et le rythme qu’il convenait de respecter, expose, reconnaît et déclare les droits qui vont suivre. Ces droits vont bien évidemment venir s’ajouter aux droits découlant des principes contenus dans le préambule d’une importance indissociable de l’ensemble du texte. Ce préambule reprend l’idée que se faisait des lois, Montesquieu lorsqu’il écrivait : les lois dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. Le préambule rappelle que ces lois ne sont justes et ne sont légitimes que si elles dérivent de la nature des choses, et qu’il n’est pas dans le pouvoir, ni dans la vocation de la loi de changer la nature souveraine des choses. La loi ne crée pas liberté, elle la constate et la préserve par une définition rigoureuse des champs du possible qui en permet l’exercice,

Ces petites précisions sont faites pour rappeler l’importance considérable de ce préambule, trop souvent occulté au profit des articles mêmes de cette Déclaration. Dans ce qui précède nous avons pu voir que non seulement ce préambule renfermait des principes applicables à chaque article, comme la notion de droits naturels, inaliénables et sacrés ; mais aussi la nécessité de la suppression des privilèges pour que les droits de l’homme et du citoyen puissent être appliqués et respectés. Ou encore l’obligation de rendre un texte règlementaire nécessairement simple et intelligible au plus grand nombre ; servitude à laquelle nos illustres parlementaires se sont impitoyablement pliés. Ainsi, le journal Le Point du jour daté du 20 août 1789, rapporte que les articles en discussions sont passés de seize à soixante-quatorze, pour terminer à la déclaration définitive et ses dix-sept articles.

Avant de passer à l’étude de l’article premier de la DDHC, je crois bon de souligner que l’élément le plus vivant de la Révolution française est cette Déclaration. Elle a survécu aux naufrages de toutes les constitutions. Elle conserve après plus de deux siècles son pouvoir totalement intact et si redouté de tous les gouvernements corrompus, pour peu que nous ne la laissions pas tomber en désuétude dans les oubliettes de l’histoire pour cause de manque de pratique. Elle a inspiré, et elle inspire les peuples de toute la planète surtout ceux qui ne bénéficient pas de la liberté et de l’État de droit qui sont censés être les fondements de la démocratie.

Déjà à l’époque de son adoption il s’en trouvait pour reprocher à cette Déclaration d’être un recueil de lieux communs ou de billevesées philosophiques. Le 1er août 1789, le comte de Castellane se chargea de démontrer avec éloquence que ces prétendus lieux communs avaient été étrangement oubliés par le pouvoir, et ses propos sont hélas toujours d’une parfaite actualité lorsqu’ils sont transposés à notre époque, comme j’ai déjà eu l’occasion d’en aborder le sujet :

Je le demande, Messieurs, est-il une nation qui ait plus constamment méconnu les principes d’après lesquels doit être établie une bonne constitution ? Si l’on excepte le règne de Charlemagne, nous avons été successivement soumis aux tyrannies les plus avilissantes. À peine sortis de la barbarie, les Français éprouvent le régime féodal, tous les malheurs combinés que produisent l’aristocratie, le despotisme et l’anarchie ; ils sentent enfin leurs malheurs ; ils prêtent au roi leurs forces pour abattre les tyrans particuliers ; mais les hommes aveuglés par l’ignorance ne font que changer de fers ; au despotisme des seigneurs succède celui des ministres. Sans recouvrer entièrement la liberté de leur propriété foncière, ils perdent jusqu’à leur liberté personnelle ; le régime des lettres de cachet s‘établit * ; n’en doutons pas, Messieurs, l’on ne peut attribuer cette détestable invention qu’à l’ignorance où les peuples étaient de leurs droits. Jamais, sans doute, ils ne l’auront approuvée.”

* Lettres de cachet qui s’appellent aujourd’hui : détention préventive.


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